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Jean Léopold Dominique ou l’icône vivante d’une presse libre en Haïti

Agronome de formation, le célèbre journaliste Jean Léopold Dominique s’était fait le porte-voix des paysans pauvres d’Haïti. Il avait révolutionné la radio en s’adressant à ses auditeurs en créole, plutôt qu’en français, et en dénonçant les abus du pouvoir. Ses éditoriaux cinglants à l’antenne l’avaient placé dans la ligne de mire des dictateurs François Duvalier et son fils Jean-Claude et d’autres régimes politiques. Il a été lâchement assassiné le 3 avril 2000 alors qu’il arrivait à peine sur son lieu de travail, Radio Haïti-Inter. Cet acte crapuleux a fragilisé la liberté de la presse en Haïti et le pire, cet assassinat avilissant n’est jamais élucidé, 24 ans après.

Retour à la vie de l’iconique Jean Léopold Dominique

Jean Dominique est né le 30 juillet 1930 à Port-au-Prince. Il est septième d’une fratrie de huit enfants. Il vient d’une famille ayant une grande fierté et un respect profond pour Haïti. Son père, grand commerçant, l’emmène durant ses voyages à la campagne pour explorer ce beau pays. Cela permet au jeune Jean Do de comprendre les différences entre classes sociales et le système hiérarchique qui rongent Haïti.

Après sa licence en agronomie en Haïti, il continue ses études en France dans les années 1950. C’est là qu’il se passionne pour le cinéma et s’intéresse à son pouvoir sur la société. Il se rend compte que la majorité des films ont des messages politiques cachés derrière les intrigues. Il comprend également que le cinéma peut être un bon véhicule pour encourager la fierté nationale.

De retour en Haïti, il travaille comme agronome aux côtés des paysans. Frustré par la négligence de l’État haïtien envers les agriculteurs, il utilise un mégaphone pour encourager les paysans à revendiquer leurs droits. Il est vite arrêté, battu et jeté en prison par les tontons macoutes.

Une fois sorti de prison, avec le même rythme, le même amour, la même passion, il reprend son action de militant. Dès lors, il devient un modèle pour les démunis qui s’inspirent de sa bravoure. C’est ainsi que commence sa carrière de journaliste.

En 1968, Jean Dominique achète Radio Haïti-Inter. Peu après, il commence à diffuser sur les ondes AM et FM des émissions dans la langue des masses, le créole haïtien. Ce faisant, il aide des milliers d’Haïtiens en leur donnant accès à la presse, qu’ils ne pouvaient pas comprendre parce que les autres stations de radio ne diffusaient qu’en français.

Radio Haïti-Inter est très vite reconnue comme une station antiautoritaire luttant inlassablement pour la restauration de la démocratie en Haïti. Elle se donne pour mission la protection des droits et de la dignité de tous les Haïtiens. Elle parle sans hésitation de la violence effrénée des tontons macoutes envers les paysans haïtiens.

Jean Do et le militantisme politique

Jean Dominique a dû partir en exil deux fois (janvier 1981 sous le régime de Jean-Claude Duvalier et 1991, fuyant l’arrivée au pouvoir des militaires). Par la suite, il était devenu, « sans pour autant intégrer son cabinet », conseiller de son ami René Préval lorsqu’il est élu président en février 1996.

Toutefois, dans un rapport en 2001, Reporters Sans Frontières (RSF) notait que l’animateur de radio s’était fait beaucoup d’ennemis en critiquant sans relâche l’élite financière, les anciens du régime Duvalier, l’armée, la politique américaine à l’endroit d’Haïti et certains membres de Lavalas, le parti de Jean-Bertrand Aristide.

Jean Dominique est connu pour ses prises de position radicale, sa volonté de poser des questions pertinentes, voire gênantes, aux autorités haïtiennes. Sa persistance et son courage de dénonciation forcent certains politiciens à se rendre compte de leurs erreurs, comme l’illustre son interview avec le président Jean-Bertrand Aristide à la fin des années 1990. Durant cette interview, Jean Dominique accuse le président Aristide d’avoir signé avec le président Bill Clinton un contrat qui permet aux sociétés américaines de vendre leur riz à bas prix en Haïti. Le déferlement du riz américain sur le marché haïtien finit par écraser les cultivateurs de riz haïtiens qui deviennent non seulement chômeurs, mais aussi consommateurs de riz américain.

Le récit d’un assassinat odieux

Jean Léopold Dominique, alors âgé de 69 ans, a été assassiné le 3 avril 2000. Il était arrivé seul, au volant de sa voiture, et venait de se garer dans la cour de la station et s’apprêtait à entrer dans le bâtiment qui l’abrite au haut de l’autoroute de Delmas. Il a été alors attaqué par un individu armé qui a fait feu sur lui. Il a reçu plusieurs balles et a été conduit à l’hôpital de la Communauté Haïtienne. Aux environs de 7h45, la nouvelle a été rendue publique, Jean Dominique est décédé. Toutefois, l’attaque n’a pas été revendiquée et l’individu a eu le temps de s’enfuir. Le gardien de la station, Jean Claude Louissaint, a été aussi abattu d’une balle.

L’immortel Jean Dominique

Des funérailles nationales ont été organisées en l’honneur de Jean Dominique au Stade Sylvio Cator le 8 avril 2000. Plus de 15.000 personnes y ont pris part, dont le président René Préval, l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, tous les ministres du gouvernement d’alors, une partie du corps diplomatique, et 10.000 paysans. Le jour même de ses funérailles, il a été décoré à titre posthume de l’Ordre National Honneur et Mérite Grand Croix, Plaque Or, au grade de Chevalier. C’est la plus haute distinction haïtienne. Les cendres de Jean Dominique sont répandues dans le fleuve de l’Artibonite le 16 avril 2000.

Pour le peuple haïtien, Jean Dominique est immortel en raison de ses luttes sempiternelles, ses engagements en faveur des couches défavorisées, son franc-parler et son intégrité. Jean Dominique reste à ce jour le symbole de la liberté d’expression en Haïti. On retient également de ce grand homme sa lutte contre la corruption et des abus de pouvoir.

Son assassinat devant sa station de radio le 3 avril 2000 crée un vide dans la sphère médiatique haïtienne qui n’a toujours pas été comblée. 3 avril 2000 – 3 avril 2024, 24 ans après, les auteurs du crime n’ont toujours pas répondu de leurs actes.

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