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Jacques Stephen Alexis, un grand homme parti trop tôt

Jacques Stephen Alexis, né aux Gonaïves le 22 avril 1922, est l’un des meilleurs auteurs haïtiens. Il a laissé son empreinte, indélébile, dans la littérature caribéenne et haïtienne. Homme politique, médecin et écrivain, il a su combiner ces trois domaines pour produire une œuvre riche et dense, qui continue de marquer les esprits. Son engagement envers son pays et son combat contre le régime duvaliériste avaient fait de lui la cible du dictateur François Duvalier.

Jacques Stephen Alexis est issu d’une famille intellectuelle. Fils de l’historien, diplomate et écrivain Stephen Alexis, auteur de Négre Masqué (1933), Alexis a grandi dans un milieu centré sur les discussions artistiques et le débat politique. Il est également descendant de Jean-Jacques Dessalines, père de l’indépendance haïtienne.

JSA débute ses études classiques au Collège Stanislas, à Paris. De retour sur le territoire haïtien dans les années 1930, il poursuit sa formation au collège des Frères de l’instruction Chrétienne Saint-Louis-de Gonzague de Port-au-Prince. Après ses études secondaires, il entre à la Faculté de Médecine de Port-au-Prince. En 1945, il a obtenu son doctorat en Médecine. Tout en étant à l’université, Jacques Stephen Alexis s’engage, de très tôt, dans la vie culturelle et politique du pays et devient membre du premier parti communiste haïtien.

Alexis a fait son entrée dans le monde de l’écriture à l’âge de 18 ans, avec son essai sur le poète haïtien Hamilton Garoute, qui a eu un feed-back positif. En 1955, il publie son premier roman en France, Compère Général Soleil, ayant connu un succès immédiat et avec lequel il a failli remporter le Prix Goncourt. Cette œuvre reste jusqu’à présent un pilier de la littérature caribéenne et haïtienne.

Dans l’ascension de sa carrière littéraire, il a collaboré avec plusieurs revues, dont Les Cahiers d’Haïti, puis dirige Le Caducée avant de rejoindre La Ruche, qui a joué un rôle important dans la révolution de 1946. Il a côtoyé le grand écrivain haïtien Jacques Roumain et Nicolas Guillen, un grand poète cubain, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, deux penseurs du courant de la Négritude.

Jacques Stephen Alexis et ses confrères de la revue La Ruche, notamment Gérard Lafontant, René Depestre et Gérald Bloncourt, ont contribué à la chute du président Elie Lescot. Si Francois Duvalier, devenu président, avait emprisonné les membres du comité de la rédaction de la Ruche, quant à Jacques Stephen Alexis, il a eu le temps de s’échapper.

Conseillé par son père de quitter le pays, il s’est réfugié en France, où il fait une spécialisation en médecine. Il apporte une contribution importante en 1956, à Paris, au Premier Congrès des Écrivains et Artistes Noirs : Prolégomènes à un Manifeste du Réalisme Merveilleux des Haïtiens. Il publie rapidement Les Arbres musiciens (1957), L’Espace d’un cillement (1959) et Romancero aux étoiles (1960). Il a également d’autres contributions majeures dans le monde littéraire Caribéen telles que le roman Les Arbres musiciens, publié en 1957, le Manifeste de la seconde Indépendance et l’Espace d’un cillement publiés en 1959.

Sur le plan politique, il noue un dialogue nourri et original avec différents partis et figures : en France, en Chine, en Europe de l’Est et en URSS, par ses liens avec le Comité National des Écrivains auquel il adhère en 1957 et ses amis du PCF. Sur le plan littéraire, il se lie avec Louis Aragon (qui annoncera sa disparition dans Les Lettres françaises en 1962), avec le romancier afro-américain Richard Wright et les écrivains latino-américains.

À l’issue d’un premier mariage en France en 1949, il aura une fille en 1951. Rentré en Haïti quelques années après, Alexis se remariera avec André Roumer, nièce du poète Émile Roumer. De cette union est né Jean-Jacques Alexis, qui n’a pas eu la chance de connaître son père.

La résistance d’Alexis à la dictature de François Duvalier avait fait de lui une cible pour ce gouvernement qui cherchait à maintenir le statu quo de l’oppression et de l’ignorance. Il avait même écrit une lettre au chef d’État. Alexis est mort sans sépulture. Les faits antourant sa disparition en avril 1961 restent un mystère. Revenu en Haïti pour organiser son parti qu’il avait créé en 1959, le Parti d’Entente Populaire( PEP), il a été arrêté à Môle-Saint-Nicolas, en compagnie de quatre compagnons, Charles Adrien-Georges, Guy Béliard, Hubert Dupuis-Nouillé et Max Monroe. Depuis l’arrestation, il n’y avait plus de nouvelles d’eux.

Les hypothèses divergent concernant la disparition d’Alexis en avril 1961, certains avancent qu’Alexis a été tué et enterré sur place. selon d’autres, il a été transféré à Port-au-Prince, où celui-ci serait mort exécuté au Fort Dimanche. Jacques Stephen Alexis a emporté avec lui la vérité sur sa mort. Après sa disparition, sa femme, Andrée Roumer, a été empoisonnée et torturée par le régime duvaliériste.

Un grand homme qui est parti trop tôt, mais qui continue d’être une source d’inspiration. Il incarnait l’intellectualisme même. Ses quatre chefs-d’œuvre sont enseignés et étudiés à l’Université en France, en Afrique francophone, aux États-Unis et en Amérique du Sud. Son œuvre, traduite dans une vingtaine de langues, centrale dans la littérature caribéenne du XXe siècle, est régulièrement rééditée par les Éditions Gallimard dans la collection de poche «L’Imaginaire». Alexis était un auteur polyvalent, qui a touché à différentes sphères dans ses écrits, notamment la politique, la peinture, la religion, l’ethnologie et d’autres sujets divers.

En 1961, alors qu’il essayait de rentrer au pays, il a été capturé par les sbires de François Duvalier avant d’être assassiné. Son départ tragique, en raison de son engagement politique, n’empêche pas que sa pensée traverse des générations et serve de source à certains écrivains haïtiens du 21e siècle.

En 2018, Jacques Stéphen Alexis reçoit, de façon posthume, le premier prix littéraire Jean d’Ormesson pour son ultime roman publié en 1959 : L’Espace d’un cillement. L’héritage littéraire de Jacques Stephen Alexis, génie incontestable, est immense.

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