Opinion

Vaut-il la peine de faire des études en Haïti si c’est pour tromper le peuple?

(TripFoumi Enfo) – L’école est quelque chose de sacré, dit Émile Durkheim. Max Weber expose trois grandes raisons d’étudier. La première est celle de l’utilité, c’est-à-dire une action rationnelle par rapport aux moyens. La seconde, la passion. L’action rationnelle par rapport aux valeurs. La troisième, par routine. C’est une action traditionnelle. Dans le sens que ce sont la famille et la société qui motivent notre désir d’étudier (Dubet, 1996). Moi j’ajoute, on fait des études pour se perfectionner et contribuer au perfectionnement de l’humanité. Et c’en est la raison fondamentale. Mais peut-on s’atteler au perfectionnement de l’humanité si on n’est pas totalement développé ?

Qu’est-ce que c’est être totalement développé ? C’est se considérer comme un être humain à part entière ; avoir du caractère ; marcher la tête haute, le front vers le soleil ; s’opposer à l’esclavage et à l’étranger qui s’inscrit dans toute logique de destruction du pays ; dénoncer la discrimination, les abus de pouvoir et les violations des droits humains d’où qu’ils viennent ; être humainement émancipé.

Dans une société comme Haïti, peut-on être humainement émancipé ? En Haïti personne n’est humainement émancipé. Moi qui vous partage mes opinions ne saurais l’être dans une société où personne ne l’est. Ici nous faisons tout sur les déchets. Nous vivons avec les déchets, nous mangeons dans les ordures. La seule chose que nous ne faisons pas, c’est dormir sur les ordures (Lenouvelliste, 2017). Sur ces entrefaites, être humainement émancipé n’est-ce pas évoluer ou vivre dans des conditions universellement humaines ?

Certains me répondraient de manière péremptoire, et le bourgeois haïtien, n’est-il pas émancipé humainement puisqu’il vit dans une villa, peut s’acheter le savoir, possède la richesse et contrôle tous les rouages du pouvoir politique ? Je leur réponds catégoriquement non. S’il est politiquement, économiquement et socialement émancipé, il ne l’est aucunement humainement. Pourquoi ? Sa villa aux murs de clôture gigantesques est assiégée par des bidonvilles. Il roule dans des véhicules blindés par peur d’être fusillé ou kidnappé. Pour sortir de sa maison dans les hauteurs de Pétion-ville et arriver à son commerce au bas de la ville, sa voiture doit traverser des tonnes de détritus à l’odeur suffocante. Il n’est pas libre de ses mouvements. En fait, il ne vit pas.

D’autres, conscients qu’il n’y a aucune chance pour que l’intellectuel et la masse le soient si le bourgeois ne l’est pas, avanceraient les réflexions de Karl Marx et Bruno Bauer (1843) sur la question juive pour réfuter ma thèse et jouer au marronnage. À savoir, l’émancipation humaine est dans une dimension individuelle, la liberté de culte sans restriction, les libertés religieuses. Dans une dimension collective et hautement politique, la laïcité de l’Etat afin de placer les citoyens sur le même piédestal. Sans palabrer, je réfuterais à mon tour cette argumentation qui n’est autre qu’une conception hautement philosophique de l’émancipation humaine.

De par mon expérience et ma conception de l’humanité, l’émancipation humaine se réfère à la parfaite symbiose entre l’homme haïtien et son milieu ; la proportionnalité et la réception de soins appropriés en cas de maladie pour tous les Haïtiens. À ce propos, existe-il une parfaite symbiose entre l’homme haïtien et son milieu lorsque la couverture forestière d’Haïti ne dépasse 3 %, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (2013) ? Est-ce cela un espace sain lorsque dans tous les coins du pays les fatras courtisent à longueur de journée la population, même les quartiers résidentiels n’en sont épargnés ? Comment expliquer qu’en cas de n’importe quel malaise la grande majorité des élites haïtiennes vont se faire soigner à l’étranger ? Est-ce normal que les pauvres gens ne puissent bénéficier d’un minimum de soins par manque d’hôpitaux bien équipés et de personnels médicaux, mais aussi par le fait que le système sanitaire est fondé sur l’exclusion ?

Ne peut-on tenir pour responsable de cette déshumanisation de l’Haïtien ceux qui ont fait de grandes études ? Il n’y aurait aucun zeste de méchanceté. Car il revenait à eux à travers les canaux de communication d’éduquer socialement et mystiquement la population haïtienne sur l’importance d’un pays vert ; de contribuer à la mise en place d’une politique de reboisement dans les activités de planification normale de toutes les institutions privées, publiques, les écoles, etc ; d’exiger une politique publique de gestion des déchets, dont les mairies constitueraient les principaux metteurs en œuvre, ce qui réconcilierait la population haïtienne avec son milieu ; en ce qui concerne le système de santé, à travers une politique de santé nationale de faciliter à la population entière l’accès à des soins sanitaires de qualité afin qu’elle puisse vivre longtemps et en santé.

Est-ce que cela vaut la peine de faire des études en Haïti ? Quand le ministre des affaires étrangères, professeur à l’Université et docteur en politiques publiques de surcroît, sollicite l’aide de l’Organisation Internationale de la Francophonie pour le projet controversé de changement constitutionnel promu par le président Jovenel Moïse (Rezonòdwès, 2020), tout en oubliant que cette affaire relève de la souveraineté nationale, je me dis que les études ne servent pratiquement à rien. Quand un conseiller du président de la République, docteur en sociologie, insinue sur une station de radio que le chef de l’Etat a le droit de modifier la constitution comme bon lui semble parce que, argue-t-il, il est le chef de tous les autres pouvoirs (Lenouvelliste, 2020), je me dis qu’il est préférable de fermer les écoles et d’ouvrir les bordels.

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