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Éditorial | Prise d’assaut du Palais de Justice, entre avilissement du système et complicité de l’État

La justice élève une nation a-t-on appris. En Haïti, c’est une tout autre réalité. La corruption gangrène le système. L’injustice pullule. Le phénomène de la détention préventive prolongée désormais maître mot de l’appareil judiciaire. Mot d’ordre de grève à tous les niveaux du personnel (greffiers, huissiers, juges), le système est à genoux. Les justiciables ne savent plus à quel saint se vouer. La prise d’assaut du Palais de Justice par les gangs armés de Village-de-Dieu est la dernière goutte venant renverser le vase, l’État, complice, impuissant ou dépassé par les événements, reste muet et passif.

Le vendredi 10 juin 2022, une attaque armée a été perpétrée dans les locaux du Palais de Justice. Les bandits font désormais la loi en lieu et place des juges et des avocats. Depuis, le chaos règne dans le siège de la Justice. Les parages du bâtiment logeant le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, le Parquet et le Barreau de la plus grande juridiction du pays, deviennent la vallée de l’ombre de la mort.

Plus d’un estime qu’il ne s’agisse ni plus ni moins d’une mise en scène bien concoctée tout en soulignant que ce plan macabre cache des projets encore plus sombres et avilissants. Un vaste complot consistant à réduire à néant le système judiciaire.

Les forces publiques se montrent impuissantes. Aucune intervention ni de déclaration officielle n’ont été faites plus de deux semaines après. Serait-ce une mission pour des bandits en costume hauts placés dans la gestion de la cité, donc ceux qui devraient garantir la sécurité publique sont les mêmes qui alimentent l’insécurité?

À en croire les agissements, ils détiennent vraisemblablement le monopole de la violence légitime. Environ deux semaines depuis que les locaux du Palais de Justice de la capitale haïtienne est prise en otage.

Il n’est un secret de polichinelle pour personne que la justice ne jouissait pas d’une bonne santé. Des juges corrompus jusqu’au cou; dysfonctionnement systématique de la justice notamment dans la juridiction de Port-au-Prince; des actes de vandalisme en cascade contre le Parquet. De plus, l’insécurité sévissant au Bicentenaire avait déjà causé un ralentissement des activités.

La justice en Haïti, un malade qui saigne partout

Le système, en dépit de tous ces maux, continuait tant bien que mal à rendre ou vendre la justice aux plus offrants ou rendre service au détriment de la justice. Instrumentaliser la justice à sa propre guise; nommer des juges dont l’impartialité est douteuse; pas besoin d’être compétent pourvu qu’ils puissent prononcer le mot du non-droit.

L’ancien président Jovenel Moïse, avant son assassinat avait lui-même révélé avoir nommé plusieurs dizaines de juges corrompus dans le système. Et il en a payé le prix fort même après sa mort. Aucun espoir pour que Justice lui soit rendue, aucune préparation n’a été faite.

Le Palais de Justice est occupé par des bandits armés depuis deux semaines, au vu et au su des autorités étatiques. Les malfrats ont dépouillé le Parquet de la majorité de ces coffres, vandalisé le greffe du Tribunal, emportant, détruisant plusieurs dossiers sensibles. Pour qui seraient-ils en mission?

Pour reprendre Desmond Tutu, si tu es neutre en situation d’injustice alors tu choisis le côté de l’oppresseur. L’État impuissant ou complice montre son camp à travers sa neutralité tachée d’un avilissement honteux.

Malgré le désir ardent et les démarches persistantes du Commissaire du Gouvernement Jacques Lafontant pour aller faire un état des lieux avec des forces policières, aucune suite n’est accordée jusque là. Faut-il bien qu’on protège la mission jusqu’à son terminus.

De surcroît, nous ne vous apprenons pas que la justice était toujours traitée en parent pauvre. Le budget alloué à la justice pour ces 5 dernières années en est la preuve irréfutable. Les institutions régaliennes mal structurées. Pas de matériels, faibles accompagnements.

Donc, les gangs armés opérant en toute quiétude de leur côté depuis plus d’une semaine, ont installé des caméras dans les locaux du Tribunal. Plus d’un assimile cet acte de barbarie à une mission préméditée bien concoctée pour réduire à néant des enquêtes pouvant mettre en mauvaise posture les vrais acteurs et profiteurs de la situation cahotique du pays.

Le mal, l’injustice et le non-droit vont-ils continuer à triompher du bien et de la justice et du droit? Ce qui est certain, la fin du calvaire des justiciables n’est pas pour demain, alors qu’Haïti continue tout droit sa descente au fond du précipice.

Ne vous étonnez pas, si les hors-la-loi établissent leur loi. Attendez-vous même à voir des bourreaux se vêtir en toge, armes de pointe en main comme boussole.

La femme aux yeux bandés quant à elle, avec épée et balance en mains, symbole absolu de la justice, n’est plus en Haïti, ou si non, elle est désarmée, ses yeux crevés, sa balance déréglée, elle est violée, maltraitée, sa robe maculée de sang, la bande qu’elle portait à ses yeux se trouve désormais dans sa bouche pour qu’elle ne jase aucun cri de détresse.

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