À la une

Haïti : la danse des Générations

(TripFoumi Enfo) – Haïti n’est plus ce qu’elle était jadis. Les années passent et les valeurs aussi. Les hommes changent mais la nature reste avec ses lois et ses préceptes. Si pour Montesquieu : « la culture est tout ce qui reste après avoir tout oublié ». Pour nous, ici, quand on a tout oublié, la culture fait appel aux valeurs, car ces dernières sont notre dernier rempart.

En Haïti, c’est un impératif de parler de valeurs. On en parle peu. Il est grand temps qu’on fasse le point sur notre vécu de peuple qui est en constante évolution. Pour reprendre la pensée de Léo Ferré : « Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien ».
Ainsi avec le temps, les valeurs qui ont existé dans le temps s’effritent avec le temps, elles se diluent dans le temps et on a tendance à tout oublier.

Le temps passe avec les valeurs. Et les valeurs créent un vide dans la nature. La nature à son tour a horreur du vide, c’est pourquoi elle doit combler le vide par d’autres valeurs. Voilà pourquoi nous aimons dire « il fut un temps » en parlant de notre culture traditionnelle des valeurs. Jusqu’ici, on se demande où sont passées ces valeurs ? Reviendront-elles avec le temps ? À quoi servent-elles dans notre société ? Peut-on parler de crise de valeurs en Haïti ?

Sachant que le concept “Valeur” renvoie à l’idée de courage. Du latin “valere” qui signifie : fort, courageux, brave. Pierre Corneille, dans le cid, l’explique à travers le personnage de Don Rodrigue qui, pour répondre aux attaques de Don Diègue, a répondu : « Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Rappelons que le personnage de Don Rodrigue est un jeune peu expérimenté qui se tenait devant l’un des hommes les plus respectés et honorés de sa communauté, le capitaine de l’armée de la Castille, un homme mûr et mature, plus encore, le père de son amante. Voyez dans cet exemple deux visions du monde, deux générations qui s’opposent.

Toutefois, soulignons que la valeur, dans son sens étymologique, semble perdre son idée de départ en ce qui concerne le courage et la force. Aujourd’hui, on considère comme valeurs, toute idée dont le choix, le sens et les actes sont dignes d’intérêt, dignes d’estime et d’admiration. C’est pourquoi nous observons les autres et les attribuons des valeurs.

Il faut dire aussi que les valeurs, selon le temps et le milieu, peuvent être intrinsèques ou extrinsèques, positives ou négatives. Elle est une projection de l’individu à la communauté ou la collectivité. Le sentiment d’un bien ou d’un mal auquel on croit.

Quelques valeurs appelées subjectives finissent tant bien que mal par s’imposer comme des valeurs humaines et universelles. Il y a aussi ces valeurs qui ont déjà transcendé la notion humaine pour devenir des mots et expressions courantes. Nous pouvons citer quelques unes comme : l’égalité des droits, la sécurité, la liberté, la responsabilité, le partage, l’ordre, la solidarité, le travail, le respect de soi et des autres, l’éducation, la créativité, la famille, la démocratie, la tolérance, la justice, le courage, l’amour, l’amitié, l’effort, la discipline etc…

Ces expressions (mots) et bien d’autres encore constituent des repères essentiels à la vie humaine et communautaire. Parfois nous les utilisons pour effectuer nos choix décisifs et orienter nos actions et notre comportement dépendamment de la situation. Ce qui nous amène à intégrer dans le quotidien ces trois niveaux de valeurs (humaines, morales et universelles). Ces valeurs définissent les générations, des plus jeunes aux plus âgées, nous sommes tous le reflet de nos valeurs.

« Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », un vieil adage que nous utilisons le plus souvent pour expliquer comment la jeunesse devrait s’approprier de la connaissance des anciens pour pouvoir se construire. Car la vieillesse n’a plus la force d’exécuter son savoir. Ces entrefaites nous permettent de comprendre la réalité des générations. Nous assistons vraisemblablement à un spectacle valsé entre les valeurs traditionnelles qui se basent sur les normes et celles de la nouvelle génération où tout semble permis.

Pour ainsi dire, en Haïti un slogan divise l’opinion : « Granmoun yo echwe… Jèn yo dejwe… ». Une chose est certaine, il n’y a pas de génération spontanée, tout est le fruit de nos actions antérieures. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, ce qu’hier était considéré comme impensable, répugnant, horrible est devenu aujourd’hui comme la norme. Ce que nous avions rejeté par le passé pour être contre nature est devenu légal et tout le monde s’y accommode. Aussi simple que ça. Aujourd’hui, les cadavres dans la rue, les viols, les vols, la perversité, l’intimité de nos parents, l’intimité du sexe opposé ne nous intimident guère. Honorer son père et sa mère a moins de valeurs que de les torturer au vu et au su de tous. Si autrefois une preuve d’amour était un simple baiser, aujourd’hui le sexe à corps perdu et à profusion est la grande mode…

Si autrefois il fallait des fleurs et plusieurs lettres pour faire la cour à une dame, aujourd’hui, la formule est simple : « no money… no love… ». Si l’école était le lieu d’instruction et de formation hier, aujourd’hui, ce n’est qu’un site de rencontre pour parler de tout et de rien, bavarder entre copains, copines et parfois faire le sexe en salle de classe. Si autrefois voler était impardonnable au point que personne ne voulait d’un voleur dans sa famille, aujourd’hui, les voleurs sont sous haute protection de leur famille, voler prend de l’ampleur et est devenu un phénomène étatique. Qu’en est-il du respect des cheveux blancs, des personnes âgées, des femmes enceintes, du drapeau, de ses parents, des aînés, de la propriété privé ? etc.

Hélas ! C’est triste tout de même. Le philosophe Claude Bernard avait raison de dire : « Nous sommes arrivés trop tard dans un monde trop vieux… il faudrait retourner à l’état primitif… ». De là, on se demande, entre la génération des valeurs traditionnelles et celle des valeurs permissives, sur quel pied danser…

Jules Nicolas Michel

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker