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Chronique d’un dimanche après-midi sans fin

Je marche le long de la rue républicaine. Je viens de sortir de chez le coiffeur du coin. Direction la bibliothèque nationale de Petit-Goâve. (Invitation à un récital de contes). Sur la route, j’écoute Soweto en boucle. Un tube d’afro-dance. Ça fait peut-être une bonne quinzaine de fois. Je ne sais même pas pourquoi ce son me parle autant. Mais de toute façon c’est la toute dernière. Mon casque audio s’éteint sans signaler sa mort. (Mort subite). On est dimanche. Et les dimanches s’y éternisent comme dit Apollinaire.

Le bar miteux

  • Christian Bobin est mort.
  • Je sais. J’ai lu l’info sur France Culture.
  • Il écrivait aussi simple que bonjour…

Interruption sonore : de la drill music à cor et à cri… On cherche en vain le mec du bar.

On boit du Whisky bon marché. (Pas terrible comme Whisky. Je m’y connais en alcool fort). Notre ami Kerby pointe – (Il s’apprêtait à entrer dans la bibliothèque quand Marcson lui a fait signe de nous rejoindre. On s’ennuyait du récital et on s’est vite barré de la bibliothèque). À peine arrivé, il m’interroge sur ma nouvelle coupe de cheveux. (Mon cher pote est obsédé par sa tronche de Quasimodo). Marcson me file son portable pour lire son tout dernier poème. Entre temps, le mec du bar est revenu et a baissé un peu le son. Marcson en profite pour commander des cigarettes. (C’est lui qui régale).

  • Tu ne trouves pas qu’avec ma nouvelle coupe, je deviens un peu beau ?
  • Ce n’est pas totalement faux. Ça te va un peu mieux. Mais ce n’est pas permis à tout le monde d’être laid, tu le sais ça quand même ?

On ricane et on passe à autre chose.

Marcson en a ras-le-bol d’un type de la ville qui se dit poète. (Prompt désaccord entre poète et prétendu-poète). Il ne peut pas percer à jour l’audace de ce type. Il ne le cache pas. On est entre potes. Rien de grave. Je pense un instant aux grands écrivains. Ceux qui ont osé toucher au feu sacré : la Gloire. Ils sont un peu comme tout le monde ces grands écrivains, non ? Malgré leur Goncourt, leur Renaudot, des sièges sous la Coupole… Je présume qu’ils se foutent de temps en temps de la gueule de leurs collègues mal lunés.

Patrick Modiano par exemple, il doit être la seule personne au monde capable de prononcer une série de consonnes sans voyelles et de parvenir cependant à se faire comprendre. Pauvre mec. (Détrompez-vous, j’adore Modiano).

Modiano : « Je n’en suis pas s…, c’est très d… ! »
Et vous savez qu’il vient de dire : « Je n’en suis pas sûr, c’est très difficile ! »

Difficile pour lui de s’exprimer, difficile d’écrire et aussi d’arrêter l’écriture.

J’imagine aussi la tête qu’a fait Bernard Henri Levy après le prix Nobel octroyé à Annie Hernaux. (Pas une tête qu’on aimerait prendre en photo).

C’est fou comme les humains sont tous pareils.

Je tourne la tête vers le comptoir pour réclamer ma cigarette. Une femme débarque : un môme sur le bras gauche et un couteau dans la main droite. Elle n’est pas là pour rigoler. Et une fois encore, le mec du bar a disparu.

C’est tout l’avantage d’un bar miteux. Galère gratuite.

L’expo-peinture à la rue Lamarre

Une ancienne maison de style gingerbread. Une salle terne et bruyante. Au milieu de la salle un tambour. Je pénètre la salle. Au fond, à droite de l’entrée principale, quelques amateurs de beaux-arts discutent. J’entends le mot ‘’Karaba’’. ‘’Karaba’’, la sorcière. Je m’approche à pas décousus vers la petite foule réunie autour de ce tableau qui interpelle.

  • C’est Karaba, c’est elle. La femme sorcière dans le film ‘’Kirikou’’, dit une voix assommante dans cette mêlée de voix.

J’essaye de me frayer un passage. La salle semble se rétrécir à mesure que les spectateurs continuent de la pénétrer. On dirait un open bar, mais sans la bière qui coule à flots. De l’autre côté, j’aperçois l’homme de l’exposition, l’homme de la soirée, au beau milieu d’une bande de filles qui lui rôdent tout au tour. Il s’en fout royalement. Il prend l’air prétentieux du peintre René Magritte – (Ceci n’est pas une pipe). Mais pourtant ça l’est. Je préfère amplement Francis Bacon. Lui, il a préféré rester dans l’ombre.

Sur la galerie, se dessine peu à peu une mini scène de music-hall. Une petite soirée Jazz comme à la rue Saint-germain-des prés dans les années folles à Paris. Le décor : trois saxophonistes, mon ami diseur Penn qui nous balance ses rimes glaçantes en plein visage et une foule galvanisée.

Je descends la marche de la petite galerie, traverse la rue qui mène à la maison d’en face, là ou l’on (se) sert du thé au gingembre à volonté. Et soudain, une silhouette dans un débardeur de couleur blanche s’amène vers moi. (Ma personne préférée). Elle me sourit et j’ai rougi. On est dimanche. Et les dimanches s’y éternisent comme dit Apollinaire.

Philippe Barthelemy

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