À la une

Et le PHTK dit : Que l’insécurité soit ! Et elle fut

Haïti n’en peut plus. Depuis environ 10 ans, le pays souffre terriblement. Ce sont des gangs armés qui triomphent sur le sol national. Des gens tués et kidnappés. D’autres chassés de leurs quartiers. Des maisons incendiées. Des territoires perdus, dira la ministre de la justice Emmelie Prophète, et voilà la débâcle totale de l’État. 12 janvier 2010, le pays est ravagé par un violent séisme. Désespoir. C’est dans ce contexte que Michel Joseph Martelly est arrivé à la tête de la plus haute magistrature du pays. Le nouveau chef de l’État n’a pas tardé à faire fonctionner la machine à sa manière, donc au regard de sa philosophie “bandi legal”.

Considéré comme un néo-duvaliériste, Michel Joseph Martelly, à l’instar de François et Jean-Claude Duvalier, a gouverné le pays par la force et le mensonge où il a exposé ses illusions d’homme vil. Pour asseoir les bases de sa politique, Il a développé de solides relations avec des hommes de main. Le caïd de “Gran Ravin” Junior Dacimus alias Tèt kale, tué en 2018, a été présenté comme un fervent supporter de Martelly. D’ailleurs, les deux hommes s’étaient même fait prendre en photo comme pour arrêter l’histoire. Un an après sa prise de fonction comme président, soit en 2012, il a créé son propre “parti politique” dénommé Parti Haïtien Tèt Kale” (PHTK) en vue de participer à de nouvelles élections pour rendre pérennes ses pratiques politiques.

Ses promesses électorales n’étant pas tenues, l’opposition d’alors a trouvé matière à le combattre en s’appuyant sur la sympathie de la population. En 2014, pour faire taire toutes les voix qui s’élèvent contre sa gouvernance marquée par la corruption et le jeu des chaises musicales (il pleuvait des révocations et nominations), il a donné naissance à son propre gang. Il s’agit de la Base 257 ! Cette association criminelle s’était arrogé le droit de tuer dans l’œuf tout soulèvement populaire qui, à Pétion-Ville, visait à questionner les agissements du “bandit légal” à la tête du pays. Martelly se croyait tout-puissant comme ce fut le cas de Papa Doc et “Baby Doc” pendant leurs 29 ans de règne sanglant.

À la fin de son mandat, le musicien converti en homme politique a désigné son remplaçant, Jovenel Moïse, sur qui il a exercé une grande influence. Incapable d’organiser les élections, “Sweet Micky” a pu trouver un deal politique avec le Président du Sénat d’alors Jocelerme Privert qui a assuré une transition, initialement prévue pour 90 jours, pendant un an jusqu’à ce que les joutes aient eu lieu. Le candidat du pouvoir, bénéficiant d’un support indéfectible d’une bonne partie de la bourgeoisie haïtienne et de la communauté dite internationale lors de sa campagne électorale, a pu remporter la présidentielle et ce, dès le premier tour. Sur fond de contestation, Jovenel Moïse s’est installé au Palais national. Le nouveau président suit la trace de son patron Martelly.

Et le PHTK dit : Que l'insécurité soit ! Et elle fut

Tout au long de la présidence de Jovenel Moïse, les attaques violentes contre tous ceux et celles qui osaient exprimer leur opposition à sa manière étaient signalées par des organisations des droits humains. Environ dix massacres ont été répertoriés. Celui de La Saline est le plus meurtrier. En effet, entre 13 et 14 novembre 2018, des bandits armés proches du pouvoir, conduits par deux anciens policiers, Grégory Antoine “Ti Grèg” et Jimmy Cherizier “Barbecue”, ont envahi le quartier La Saline. Ils ont passé environ 14 heures à commettre des atrocités. Près de 70 personnes ont été tuées par les malfrats. Leurs cadavres, calcinés, ont été jetés à la merci des chiens et des porcs.

Pour le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), il s’agit d’un massacre d’État. Pour corroborer sa thèse, le Réseau souligne les noms de deux membres du pouvoir, à savoir Joseph Pierre Richard Duplan, délégué départemental de l’Ouest, et Fednel Monchéry, directeur général au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT). Ce massacre trouverait son origine dans l’hostilité des habitants de ce bidonville de Port-au-Prince face au pouvoir en place. Pour preuve, Jovenel Moïse a été chassé au Pont-Rouge, où a été assassiné Jean-Jacques Dessalines, par les paisibles citoyens vivant à La Saline.

L’année 2018 est celle où les masses populaires se sont exprimées de façon itérative. Contre la décision d’augmenter le prix du carburant par le gouvernement, elles ont dit non les 6 et 7 juillet à travers les rues. Après les deux rapports du Sénat (2016 et 20217) en ce qui concerne la gestion calamiteuse du fonds Petrocaribe (4, 6 milliard de dollars dilapidés), toujours en 2018, un challenge a été lancé le 14 août par le cinéaste haïtien Gilbert Mirambeau sur Twitter avec le mot-clic : #PetroCaribeChallenge. Depuis, c’est devenu viral sur presque toutes les autres plateformes où beaucoup de gens posent cette question “Kote Kòb Petwokaribe a ?” à laquelle les commis de l’État ne peuvent répondre.

Et le PHTK dit : Que l'insécurité soit ! Et elle fut

D’un mouvement virtuel à celui factuel, les mobilisations se poursuivent à travers le pays. Dans les médias haïtiens comme ceux à l’étranger, on en parle. La nation haïtienne demande des comptes à ses dirigeants quant à leur gestion désastreuse de l’affaire publique. Des enquêtes ont été annoncées. Des rapports y relatifs publiés par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) dans lesquels les noms des hauts cadres de l’État ont été cités. Accusé d’avoir été au cœur d’un stratagème de détournement de fonds avant d’être élu, Jovenel Moïse, responsable de la compagnie Agritans, a été indexé par les Juges de la Cour.

Depuis 2018, on a assisté à une réitération des mouvements de mobilisation visant à questionner le système à partir d’une nouvelle grammaire “fòk chodyè a chavire”. Avec ces mouvements, l’élite politique traditionnelle est questionnée sur ses choix ayant conduit le pays dans ce bourbier dans lequel il se trouve. De nouvelles têtes apparaissent sur la scène politique. Il s’agit du groupe dénommé Petrochallengers. Ces derniers sont en majorité des éléments de la classe moyenne. L’arrivée de ces nouveaux acteurs, comme nous le signalons, remet en question ce qu’on appelle à tort “classe politique haïtienne”. Les Petrochallengers n’ont juré que par le jugement de tous ceux et toutes celles impliqués dans le détournement du fonds Petrocaribe.

Depuis, les gangs armés foisonnent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ils massacrent, enlèvent et violent sous le regard passif des autorités. “Ce sont des stratégies utilisées par ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique pour étouffer les mouvement sociaux”, affirme Georges Eddy Lucien, géographe et docteur en histoire, dans un entretien accordé au journal Le National. Pour lui, c’est une forme de gestion territoriale ayant pour objectif de mettre en déroute les grandes mobilisations populaires exigeant la socialisation de l’État. “Fòk kat la rebat !”

Et le PHTK dit : Que l'insécurité soit ! Et elle fut

En 2020, les chefs de gangs de la région métropolitaine de Port-au-Prince se sont fédérés sous la dénomination “G9 an fanmi e alye”. Cette fédération, œuvre de La Commission Nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion (CNDDR), structure formée ou réactivée par Jovenel Moïse, est réputée proche du pouvoir. Jimmy Chérizier, dont le nom est cité dans la tuerie au quartier de La Saline, est le fer de lance de cette fédération. Depuis, les gangs gagnent en puissance. Ce Jimmy Chérizier avait même osé interdire toute manifestation contre le pouvoir en place.

Le PHTK semble au sommet de son pouvoir. L’ancien Premier ministre Jacques Guy Lafontant avait même déclaré que ce régime allait perdurer jusqu’à 50 ans à la tête du pays. Jovenel Moïse avait abondé dans le même sens en déclarant ceci : “Personne ne peut gagner les élections contre nous”. Les gangs auraient procuré à l’équipe PHTK une sensation d’être tout-puissant. Entre-temps, d’autres massacres sont enregistrés. Au Bel-Air, à Carrefour-Feuilles, des gens sont assassinés par des bandits armés réputés alliés du pouvoir.

Un peu plus tard, Jovenel Moïse, lâché à ce qu’il paraît par ses pairs, aurait voulu tourner le dos à l’équipe du PHTK. Dans ce contexte de discorde, M. Moïse allait être victime d’une situation qu’il avait lui-même créée ou, mieux, à laquelle il avait participé, dira l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot. Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le “filleul” de Michel Joseph Martelly a été assassiné chez lui, à Pèlerin 5. Cet assassinat, selon plus d’un, serait l’œuvre de sa “team”. “Rat kay k ap manje pay kay”. Des noms ont eté cités. Martelly, son “parrain”, a été auditionné dans le cadre de l’enquête sur cet assassinat.

Et le PHTK dit : Que l'insécurité soit ! Et elle fut

“Préoccupés” par l’état de dégradation des conditions de vie en Haïti, des pays membres des Nations Unies ont dû prendre des sanctions contre certains politiciens et hommes d’affaires pour leur participation dans le financement des gangs et détournement des avoirs de l’État. Youri Latortue (ancien conseiller de Sweet Micky), Prophane Victor, Gary Bodeau, deux anciens députés proches du PHTK, Laurent Lamothe et Jean Henry Céant, respectivement Premiers ministre du gouvernement de Martelly et celui de M. Moïse, sont frappés par des sanctions pour avoir contribué à alimenter l’insécurité. Il faut signaler que d’autres personnalités politiques de “l’opposition” et quelques-unes du secteur privé sont également sanctionnées. Et le PHTK dit : Que l’insécurité soit ! et l’insécurité fut.

Adblock Detected

Please consider supporting us by disabling your ad blocker