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Au nom du peuple, de la justice et du pain quotidien !

(TripFoumi Enfo) – La science soutient que l’oreille est l’organe de l’équilibre. L’incapacité d’écouter peut provoquer dangereusement un détachement de la réalité ambiante. Il est donc déconseillé de ne pas être attentif surtout quand on est meneur d’un engin délicat au risque de petits accidents.

Il se trouve qu’on écoute pas seulement avec les oreilles, mais aussi avec le cœur, dans une part de compassion dont probablement seuls  les humains sont capables. Une faculté d’empathie qui consiste à ressentir et partager la douleur de l’autre, un peu ce qui distingue nous les humains des autres animaux non doués de raison.

Mais on dirait que la faune haïtienne a aussi produit des espèces d’humains rares, dépourvues de la faculté d’empathie qui dans ce cas précis distingue la bête des hommes.  Des humains aux  yeux grands ouverts mais dont le cœur et les oreilles sont fermés, obstrués par des détritus que seuls l’égoïsme surdimensionnée et la cupidité peuvent produire.

Et quand ces espèces d’humains ont la responsabilité de venir en aide aux autres,  de garantir la sécurité et le droit à la vie, la catastrophe est plus que certaine, le chaos institutionnel et l’insécurité civile et juridique sont imminents.  Le peuple haïtien, pris au piège de belles paroles et de somptueuses promesses, a confié son destin, sa sécurité, son bien-être à ces espèces d’humains avant de faire l’expérience douloureuse et traumatisante liée à leur cupidité et leur indifférence face aux souffrances d’autrui.

Cette indifférence de la part de ces humains rares plonge le peuple haïtien depuis quelques temps dans un sombre et douloureux exercice de comptage de cadavres, de voir le sang de ses enfants, ses frères et sœurs disparaître dans la terre sans personne pour lui porter secours, voir ses proches enlevés, séquestrés, violés, assassinés tous les jours sans aucune réaction de ceux responsables de lui  apporter assistance … et ce peuple, quand il ose demander secours et réclamer la justice qui lui revient de droit, se voit brutalement réprimer à coups de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogène et de violentes bastonnades.

Cependant, de beaux discours transfusent de partout au nom du peuple. Des guerres sont déclarées à la classe possédante encore au nom du peuple. Des millions de dollars récupérés dans des contrats dits irréguliers entre l’Etat et le secteur privé des affaires toujours au nom du peuple, enfin des institutions républicaines détruites, la constitution du pays mise en veilleuse pour céder la place à une démocratie personnalisée contre tout principe constitutionnel, tout cela au nom du peuple ! 

Ce peuple qui dans la réalité continue de patauger dans la crasse, de crever de faim, sans eau courante, ni électricité, ni aucune forme de dignité humaine, ce peuple qui croule sous le poids écrasant des taxes qui augmentent à la volonté des chefs, ce peuple laissé à la merci des gangs armés…  pourtant n’exige rien de compliqué, qu’un peu de sécurité et son pain quotidien.

Après avoir appris avec  stupéfaction,  que des criminels financiers qui ont dilapidé plus de 3.5 milliards de dollars qui pourraient contribuer à l’amélioration de la situation du pays sont blanchis de leurs crimes, a compris que l’amélioration qu’il avait tant espérée, qu’il avait marre d’espérer, il avait tort de l’espérer…

Le peuple a compris qu’il s’agissait de luttes, de combats personnels engagés « au nom du peuple », mais pas pour le peuple.

Regagnant son coin, tapis à l’écart pour compter ses cadavres et lécher ses plaies administrées par des balles en caoutchouc, le peuple n’accorde enfin de l’importance qu’à  son pain quotidien. Il n’a pas fini de faire son deuil qu’un autre meurt, il n’a même pas encore réclamé justice que dix autres tombent. Il est fatigué, seul, délaissé,  désemparé, abandonné à son sort alors que les responsables nagent dans le déni complet de ses déboires.

Et quand le deuil change de camp, le peuple n’a pas le temps de s’indigner. Trop occupé à astiquer le sang encore tout frais des siens, trop occupé à sécher tout seul ses larmes, trop occupé à s’inquiéter du sort du lendemain, tout en cherchant seul son pain quotidien.

Le peuple n’a pas le temps pour s’indigner pour ceux qui ont fermé les yeux sur ses douleurs dans ses pires moments. Il n’a pas le temps pour pleurer pour ceux qui ne l’ont pas aidé à pleurer les siens, il n’a pas le temps pour réclamer justice pour ceux qui au lieu de lui obtenir cette justice l’ont criblé de balles et bombardé de gaz lacrymogène quand ils ne font pas la sourde oreille. Au  revers de la médaille l’effigie reste le même, car ce peuple est trop bon, trop patient, trop tolérant pour cultiver la haine.

Mais le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence… au nom du peuple, de la justice et du pain quotidien…

Joseph LEANDRE

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