Haïti

Chronique : Parce que Petit-Goâve existe !

Le soleil, en pleine guerre contre la terre, on dirait. Il fait chaud, très chaud et même trop chaud. Qui pis est, un dimanche. Aucune ville, dans ce pays, n’accepte l’inertie le dimanche. Il y a ces amoureux de la vie qui sirotent leurs bières sur le trottoir. De la musique. Le mouvement contre les fauteurs de troubles, issus du petit-peuple, est en plein essor : “Bwa kale”. Il y a donc un besoin urgent de s’évader et d’habiter autrement un pays dans le chaud. Risques : le chaud d’être pris pour un inconnu, alors de subir un supplice et ce, de façon gratuite. Et le chaud d’être tabassé par ce soleil qui demande enrager dans le ciel, témoin du triomphe de la plus grande révolution du monde moderne : celle de 1804.

Une semaine plus tôt, j’étais à Port-au-Prince où je vis depuis plus de cinq (5) ans. Sortir pour mes études et pour participer à mon atelier de dessin, voilà mon défi à relever depuis le 24 avril. En effet, la violence invite à repenser la manière de circuler dans cette capitale, qui, déjà, ne sourit pas aux inconnus. Comme auraient dit les Port-au-Princiens, parce que fiers, aux étrangers, vous n’êtes pas le fils de Madan Kolo, frère (rire). Bref. L’agir d’un homme dans cette ville, qui brûle à blanc, ah, ça peut changer de façon soudaine, je vous dis. Et me voilà déplacé, comme tant d’autres, par contrainte.

Ma ville, telle Omabarigore capable de faire tomber la douleur commme les murs de Jéricho (Davertige, 1962), Petit-Goâve, au sourire radieux m’a reçu ce dimanche de fin d’avril. Rouler sur morne Tapion à cinq heures de l’après-midi, alors que le soleil caresse encore le flanc des arbres qui, à leur tour, gémissent, quelle sensation ! Quelle merveille ! Songer qu’on laisse derrière soi une capitale qui trimbale sous le poids des armes et penser, en même temps, à cette ville où “bonjou tonton, bonjou madanm pi bon pase konn lawout”, c’est être habité par un double sentiment, amour et haine, voilà.

Depuis mon arrivée dans cette ville qui m’a vu grandir, je reprends mon atelier de dessin à la Bibliothèque municipale, ce lieu mythique où se défilent écoliers et universitaires. Il y a également ces concours de connaissance qui fusent. “Sapere Aude”. Oui, il existe cette jeunesse à Petit-Goâve qui ne jure que par les livres, parce que, pour eux, il y a nécessité de planer sur une infinité d’horizons. Ce sont des êtres de lumière qui ont appris et compris la leçon de Jacques Stephen Alexis : […] Et surtout… n’oublie jamais qu’un être humain ce n’est pas seulement des bras, des jambes et des mains, c’est avant tout une intelligence. Je ne voudrais pas que tu laisses dormir ton intelligence. Quand on laisse dormir son intelligence elle se rouille, comme un clou, et puis on est méchant sans le savoir…”( La Havane, 11 Janvier 1955)

Le dimanche d’après, la mer, cette fille que j’aime pour toutes les autres que je n’ai pas connues, pour reprendre un peu le poète Paul Éluard, m’attend, la chaleur étant débordante : la canicule. Qui n’aime pas la mer ne sait pas aimer, je vous le jure. Certains de mes amis et moi avions décidé d’aller nous baigner et d’en profiter pour contempler cette merveille de la nature qui exprime son refus d’habiter sous le même toit que les ordures. Se sentir connexté sans Wi-fi en s’y retrouvant, c’est ça, la réalité. Un peu de clairin, un speaker bluetooth, nous marchons au rythme de Lalin ak Solèy. Oui, Zafèm est de la partie. Les titres partent et reviennent sans que nous soyons LAS.

La mer, un refuge pour nous, les Humains. C’est mon constat sur le coup. En effet, la nature a cette particularité quand nous l’attaquons par souci de maximiser nos profits : elle nous tend un bras auquel nous pouvons nous accrocher malgré nos agressions. Oui, le littoral a réuni un petit monde assez considérable comme si c’était un festival de la plage. Nous nous installons entre Grand-Gôave et Petit-Goâve. Dlo Dous et les refrains des vagues, hasta mañana mi amor !

À l’instar du petit prince, j’ai pour distraction les couchers de soleil. À ce qu’il paraît, quand il est 16 heures à Petit-Goâve et que le soleil se déhanche dans le ciel avant de laisser derrière lui un tableau au fond jaune, il est déja 23 heures à Port-au-Prince. Non, ce n’est pas un décalage horaire, mais, de préférence, l’urgence efface les moments de qualité à passer au bord de la mer. Le soleil se retire petit à petit, nous aussi. Je sais comment habiter ce pays dans le chaud, parce que Petit-Goâve existe !

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