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Aterson-Sainval : « parmi les choses qu’on doit enseigner au monde, l’espérance en est une »


Dans cet entretien qui n’est pas trop long, le performeur et poète, natif de Petit-Goâve, Aterson-N Sainval dit Dade, nous livre ses impressions sur sa vie, son parcours, son amour pour la poésie, sur l’acte d’écrire. Et ce qu’on n’attendait pas, sur le tennis, son sport préféré.
 
TFE : Vous êtes poète, performeur et amoureux du tennis. Comment partagez-vous ces passions ?
 
AS : Je suis Aterson-N Sainval, âgé de 28 ans, mes ami.e.s m’appellent Dade, sobriquet qui vient de ma mère, décédée trop tôt. Après mon baccalauréat, j’ai poursuivi des études en journalisme à l’Institut de Formation en Communication Française  (IFOCOF) et des études de Droit à l’Université d’État d’Haïti (UEH). J’ai suivi également des formations en entrepreneuriat et photographie.
La poésie est pour moi une sorte de thérapie. Une sorte de portion revitalisante qui m’a toujours permis de vivre le quotidien avec une certaine légèreté digne de l’innocence d’un enfant. Après des années d’expérimentations, j’ai commencé à faire le lien entre l’écriture et la performance surtout dans les milieux scolaires. C’est ainsi que je suis devenu un passionné qui s’éclate sur scène en dénonçant les abus et en redonnant le sourire aux gens (rires). 
 
Aujourd’hui, l’écriture a fait de moi l’auteur d’un recueil de poèmes (Pages noires de vers imprécis), publié aux éditions Pulucĭa en 2022. Ce livre est le cris d’un sentiment patriotique. C’est la traduction en langage poétique de ma croyance en la dignité humaine, la bonté, le partage et le progrès de l’être : l’être haïtien en particulier. 
 
TFE : Parlez-nous de votre enfance à Petit-Goâve. Qu’est-ce qu’elle a fait de vous ?
 
AS : Je suis le cadet d’une famille nombreuse : une fratrie de 7 enfants dont une fille, Jasmine Sainval. En réalité, je n’ai pas eu une enfance dorée. Je n’ai pas vécu cette période entre quatre murs paradisiaques. Loin de l’enfance rêvée, j’ai grandi dans une atmosphère troublante. Ces moments de choc, de douleur, de misère, je me rappelle les avoir vécus en combattant comme nos ancêtres l’avaient fait bien des lustres. Mais, j’ai appris à tirer de la beauté de cette période : le bonheur maintenant est que je porte les cicatrices de mon enfance comme refrain d’une complainte chantée pour congédier la douleur. Quotidiennement, j’essaie d’en faire une chanson de bonne espérance.
 
C’est très dur et loin de l’imaginaire qu’on a de cette période quand on a un père, fan de football, qui voulait avoir autant d’enfants que de joueurs dans une équipe de football. Et surtout, une mère avec une santé aussi fragile qu’une cheville anémique. Je me souviens de la passion de mon père pour le foot et son ambition pour nous (ses garçons) parce qu’à l’âge de 12 ans, il m’a fait inscrire à l’« École des Doués », une école de football de Petit-Goâve. Le chiffre douze (12) revient. J’ai passé plus de quatre ans à évoluer au sein de l’équipe. C’était à la fois amusant pour mon père, et un prétexte pour gérer les frais de mes scolarités. En face de chez nous, il y avait un terrain de tennis, où je voyais des jeunes jouer. Apollon et Elizé, je me souviens encore les voir, jouant au tennis, c’est un doux souvenir. Et c’est ainsi que mon amour pour le tennis a commencé à se manifester. Aujourd’hui, ce sport m’habite complètement, comme la poésie qui boit à ma santé.
 
TFE : Dans votre recueil de poèmes intitulé « Pages noires de vers imprécis », vous dites qu’il fait un temps de mardi-gras, à quoi pensiez-vous en écrivant ce vers ?
 
AS : Oui, à la page 22, si je me souviens bien, dans le poème titré « Capitale », ce « temps de mardi gras » dont je parle n’a rien à voir avec la tradition et la fête du carnaval, mais plutôt aux manifestations des politiques qui se cachent derrière leurs masques qui nous refusent le droit de vivre, nous empêchent de respirer. Et nous ne cesserons pas de leur demander, de leur réclamer, de leur exiger le départ de la peur, le départ de la honte, le départ de ceux qui nous tuent et violent nos espoirs, nos rêves…
 
TFE : Écrire ça signifie quoi pour vous ? Est-il un acte politique ou une activité comme toutes les autres activités ?
    
AS : Je suis un amoureux fou de la littérature, plus particulièrement de la poésie, qui est pour moi une forme d’expression qui me permet d’extérioriser mes frustrations et aussi de partager l’amour qui m’habite. Je dois vous dire ce que j’écris n’a peut-être rien à voir avec la politique, sinon que de dénoncer certaines choses dans la société qui me dérangent en tant qu’humain. Je pense que c’est l’une des meilleures façons de me rendre plus utile comme citoyen, et  la poésie me sert de canal. Comme disait Jaume Cabré, un écrivain d’expression catalane, je partage l’idée que « l’art véritable naît d’une frustration et qu’à partir du bonheur on ne crée rien ». Ecrire, pour moi, c’est un acte d’engagement, et nous les poètes, ça nous permet de réinventer le monde. Écrire un poème pour moi est un acte d’amour. L’amour entendu ici comme la forme d’engagement la plus noble qui soit. 
 
TFE : Pensez-vous que la poésie peut sauver le monde comme on dit ?   
 
AS : C’est ce qui arrive quand nous laissons nous échapper l’espoir. Et que dit la poésie ?
 
Maryse Condé nous disait « les mots, c’est bien connu, ne servent pas seulement à créer du sens. Ils jouent, ils font l’amour. Ils composent une, une chanson d’avenir ». Le souffle de Condé me pousse à dire que les mots sont aussi caresses et tendresses, une main tendue vers l’autre. La poésie nous rappelle que nous sommes les pareils. Humains. Elle nous dit en substance, en parole, en acte, que nous sourions dans la même langue .  
 
Les mots servent parfois de coup de poing pour dire non à certaines injustices. Je pense que parmi les choses qu’on doit enseigner au monde,  l’espérance en est une. 
 
Habiter le monde poétiquement peut être une manière bienveillante.
 
TFE : Quels sont vos poètes préférés ?
 
AS : Parmi mes nombreux poètes préférés il y a le vibrant Aimé Césaire, à la fois homme politique, accrochant à la véritable histoire, celle qui nous fait connaître, à travers les particularités d’une existence d’homme, un peuple tout entier. Marc Exavier et René Depestre occupent une place spéciale. 
 
TFE : Une parole, un mot pour ceux qui écrivent en Haïti ?
 
AS : Jetez-vous sur les livres car « Lire c’est boire et manger ». L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas, comme l’a si bien dit Victor Hugo. 

Propos recueillis par Kerby Vilma

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